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Depuis plus de 25 ans Patrik Maury vit et peint à Bormes les Mimosas. Il montre peu sa peinture, parle très peu de lui, n’aime presque pas se livrer et pourtant sa peinture nous livre tout de lui. Elle est tantôt un cri de la vie, coloré et paradoxalement de son geste serein elle peut se revêtir d’une infinitude intérieure, pour devenir une évocation au cosmos, une invitation à oser se jeter dans les abysses les plus vertigineux du soi.

CTV : Patrik Maury, comment la peinture est venue à vous ?

PM : Je me promenais dans les ruelles du vieux village de Bormes, quand j’ai découvert une affiche de peintre, punaisée sur une porte en bois, je suis resté une heure, même d’avantage, assis devant cette affiche de peinture sans savoir pourquoi. Ce n’est pas explicable, je suis là devant quelque chose mais je ne peux pas dire pourquoi cela m’interpelle. C’était une aquarelle.
J’ai été hanté. Je suis allé revoir cette affiche tous les jours, des semaines durant ; la porte restait fermée. Un jour, je suis revenu et cette fois ci la porte était ouverte. J’étais très timide. Il y avait des gens à l’intérieur qui dessinaient. J’ai frappé à la porte et une femme est venue : je lui ai dit brutalement : c’est vous qui faites ça ?
J’ai été hypnotisé par cette aquarelle. Je découvrais pour la première fois de ma vie une peinture. Mes parents ne m’avaient pas appris cela. Je suis né deux fois en fait, une fois à ma naissance et la deuxième fois à 28 ans lorsque j’ai découvert la peinture.

CTV : Vous ne parlez pas beaucoup de votre peinture, vous vous montrez peu, seriez vous un peintre qui réfute l’égo, ou alors est ce de la pudeur ?

PM : Non par timidité, la pudeur je m’en fous un peu. Je n’ai pas développé d’égo. Je n’ai jamais signé une toile. Je ne signe jamais mes toiles. Je peins et voilà tout.

CTV : Votre parcours est assez atypique, vous vous dites autodidacte.

PM : Oui je suis autodidacte c’est la vérité. J’ai découvert la peinture très tardivement une première fois avec une aquarelle lors de mes promenades dans le village de Bormes les mimosas et une seconde fois avec Anthony Tapiès et là, ça a été terrible.
Je suis resté toute l’après-midi devant son tableau. C’était à une exposition à la vieille Charité, à Marseille, c’était très fort cela me perturbais. Je regardais la matière cela m’a fiché un grand coup. Suite à cela nous sommes allés boire un verre aux Arsenaux et là j’ai feuilleté une quantité de livres de peintres que je découvrais. Il m’a fallu rentrer chez moi. En prenant la route, une grande peur m’avait envahie, la peur de ne plus jamais pouvoir toucher un pinceau, la nausée.

CTV : Votre vie d’artiste a été jalonnée de rencontres déterminantes et de départs douloureux aussi ?

PM : Le mot « Artiste » ne m’a jamais plu. Je ne suis pas un artiste, je suis un peintre. C’est vrai, ces rencontres m’ont fixé un chemin, le chemin de mes pères que j’ai approchés, qui m’ont reconnu. Il y en a eu plusieurs. Pour le coup, j’ai plutôt intérêt à m’accrocher ! J’en ai rencontré plein : Arnal, Pierre Soulages, Jean Miotte et j’ai tissé des liens de solides amitiés avec Solanges Bertrand une amie très proche de Picasso, la première épouse de Zao Wou Ki, qui s’appelait Lalan, Marcel Van Thienen son compagnon, Alain Suby bien sûr.
Solanges Bertrand, Lalan et Marcel Van Thienen, Zao Wou Ki sont décédés depuis.

CTV : On dit de vous que vous êtes le peintre du Cosmos, cela vous fait grincer des dents ?

PM : Je ne suis absolument pas le peintre du Cosmos ! Le Cosmos est tout différent : il est. La peinture est un travail, peut être un don de soi avec lequel j’ai une relation toute particulière.
Il me semble que ce «  don de soi » nous échappe à chaque instant.

CTV : Vous avez obtenu plusieurs grands prix de peinture, dont le premier prix de France à la Biennale Malta International, vos œuvres ont été exposées au Musée de Malte à la Valette, et conjointement exposé au Musée d’Art Moderne du Caire en Égypte.
Il vous est d’ailleurs arrivé une anecdote avec la conservatrice de ce musée.

PM : Oui ….comme cela s’est produit pour tant d’autres peintres, mes toiles, mes dessins, mes encres sont bien partis pour Malte, exposés au Musée de Malte mais ne me sont jamais revenus…

CTV : Comment vous vient l’énergie créatrice ?

PM : ça ne prévient pas ; rien de particulier. Aucun signe. Je m’installe, c’est comme si je buvais une Suze. Je ne suis pas préoccupé par la création. Certains peintres sont en recherche constante ; moi, je ne suis pas en recherche.
Je suis un contemplatif : je l’étais déjà enfant. Je n’ai pas à subir un quelconque formatage ou influence de l’éducation de mes parents, ils me laissaient totalement libre de mes choix et orientations. Peut être, est ce une chance, c’est pour cela que dans la peinture, je ne cherche pas. Oui, on peut penser à la célèbre phrase de Beethoven « Je ne cherche pas, je trouve » utilisée fortement par Picasso. Néanmoins, il me semble que là est la vérité. Mon travail passe par le vide, par le néant. J’ai eu deux compliments sur ma peinture : une personne a dit c’est « une peinture intemporelle, immuable » et une autre personne a dit qu’elle avait envie de traverser la toile, pour voir ce qu’il se passe derrière les bleus profonds de ma peinture.

CTV : C’est difficile la vie d’un peintre n’est ce pas ? Pourriez vous nous expliquer comment vous vivez votre art ?

PM : Comment je vis mon art ? Il semblerait que je sois en marge, mais finalement, pas du tout, je suis concrètement présent ; ma peinture renvoie à une certaine marginalité parce que le message ne passe pas facilement. Tout le monde n’a pas accès au Cosmos et pourtant il fait partie de notre vie. Sans cosmos, pas de vie. Ce n’est pas évident le rapport du Cosmos à l’art. J’ai eu la chance par le passé, de rencontrer Pierre Alain Gosgniat, un ami à qui je rends hommage. Nous partagions les mêmes sensations et cela a donné lieu à un formidable projet d’exposer ma peinture dans un cadre remarquable, Le C I P de Tramelan en Suisse. Le thème était Art, Astronomie, Astronautique. Cette exposition a été réalisée avec des partenaires remarquables. Les thèmes proposés ont été riches en information et créativité de même que spectaculaires par leurs composantes humaines technologiques et scientifiques : ont participé l’Agence Spatiale Européenne (ESA), l’European Southern Observatory (E.S.O) ainsi que l’astronome et cosmonaute Claude Nicollier (N.A.S.A)

CTV : Vous aimez dire fièrement que vous vivez à Bormes les Mimosas depuis plus de 25 ans ; vous entretenez une relation quasi fusionnelle avec ce village , n’est ce pas ?

PM : Oui, c’est exact, Bormes est spirituel, dans le sens où dès qu’on se promène en soirée, il y a un vrai silence dans ce village, on peut à tous moments retrouver notre relation au Cosmos. Bormes est un lieu de vie exceptionnel, de par son micro climat, ses paysages sauvages qui ne cessent de nous surprendre, sa lumière, sans oublier le bleu magnifique de la mer méditerranée qui s’en dégage, lorsque le mistral souffle, et ca, ça n’a pas de prix ! Tout cela me pousse à la méditation. Le bleu de mes peintures prend forcément sa source ici.

CTV : Comment avez-vous découvert Le Département du Var et plus particulièrement Bormes les Mimosas ?

PM : Je suis originaire de la Champagne et lorsque j’étais enfant, je venais en vacances avec mes parents au Lavandou puis, j’y suis retourné plus tard accompagné. Nous étions arrivés tard, le soir. Nous dormions dans une maison toute blanche à Bormes les mimosas, les murs étaient tout blancs, tout était blanc, les draps blancs et les volets bleu outremer. Le premier matin qui a suivi notre arrivée, quelqu’un a frappé aux volets, les volets se sont ouverts et une lumière très violente, très crue est entrée dans la chambre, je n’avais jamais vue une telle lumière !!! C’était un mois de janvier, par un jour de grand mistral, le ciel était pur, d’un bleu pur, j’ai pensé à ce moment précis : Ce n’est pas possible ! Un mois de janvier avec autant de lumière ! Moi qui arrivais de ma Champagne où les paysages sont plutôt maussades. Une semaine après notre arrivée, mon destin était inexorablement scellé avec Bormes ; je quittais définitivement ma Champagne natale et je décidais de m’installer ici à Bormes les Mimosas.

CTV : C’est la beauté qui sauvera le monde : que vous inspire cette très belle pensée de  Dostoïevski ?

PM : La beauté est présente partout à chaque instant elle est indissociable de la vision qu’on porte sur le monde, sur notre environnement proche ou lointain.

CTV : « Le bonheur est dans le Var », vous êtes un inconditionnel de cette affirmation ?

PM : Le Var est magnifique non seulement il m’accueille mais il représente une richesse inépuisable de paysages, de beauté ; mais le bonheur, c’est tout autre chose …. 

 

Entretien réalisé par Nadège Moha auprès de Patrik Maury.